LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 14 juin 2021 par le Conseil d'État (décision n° 450861 du 9 juin 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la Confédération nationale des travailleurs - solidarité ouvrière par la SCP Buk Lament - Robillot, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-928 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l'article L. 1453-4 du code du travail.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 visant à compléter et mettre en cohérence les dispositions prises en application de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, ratifiée par l'article 18 de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le syndicat requérant par l'AARPI Testard Courteille associés, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 29 juin 2021 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 30 juin 2021 ;
- les secondes observations présentées pour le syndicat requérant par l'AARPI Testard Courteille associés, enregistrées le 6 juillet 2021 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Clément Testard et Xavier Courteille, avocats au barreau de Paris, pour le syndicat requérant et M. Antoine Pavageau, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 7 septembre 2021 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 10 septembre 2021 ;
- la note en délibéré présentée pour le syndicat requérant par Mes Testard et Courteille, enregistrée le 13 septembre 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du deuxième alinéa de l'article L. 1453-4 du code du travail dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 20 décembre 2017 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L. 1453-4, dans cette rédaction, porte sur les fonctions et les modalités de désignation du défenseur syndical. Son deuxième alinéa prévoit :« Il est inscrit sur une liste arrêtée par l'autorité administrative sur proposition des organisations d'employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel, national et multiprofessionnel ou dans au moins une branche, dans des conditions définies par décret ».
3. Le requérant reproche à ces dispositions de subordonner à une condition de représentativité la possibilité pour les organisations syndicales de proposer des candidats pour l'exercice des fonctions de défenseur syndical. Ce faisant, elles instaureraient deux différences de traitement injustifiées : l'une entre les organisations syndicales représentatives au niveau national ou dans au moins une branche et les autres organisations syndicales ; l'autre entre les salariés, selon qu'ils sont adhérents ou non de l'une de ces organisations syndicales représentatives. Il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « représentatives au niveau national et interprofessionnel, national et multiprofessionnel ou dans au moins une branche » figurant au deuxième alinéa de l'article L. 1453-4 du code du travail.
- Sur le fond :
5. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
6. En application de l'article L. 1453-4 du code du travail, le défenseur syndical exerce des fonctions d'assistance et de représentation devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appel en matière prud'homale. Il doit être inscrit sur une liste arrêtée par l'autorité administrative, pour chaque région, sur proposition de certaines organisations syndicales.
7. Les dispositions contestées prévoient que seules les organisations d'employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel, national et multiprofessionnel ou dans au moins une branche peuvent proposer des candidats aux fonctions de défenseur syndical. Ce faisant, elles établissent une différence de traitement entre ces organisations et les autres organisations syndicales.
8. En adoptant ces dispositions relatives aux conditions de désignation des défenseurs syndicaux, le législateur a entendu améliorer l'efficacité et la qualité de la justice prud'homale. Toutefois, le critère de représentativité au niveau national et interprofessionnel, national ou multiprofessionnel ou dans au moins une branche ne traduit pas la capacité d'une organisation syndicale à désigner des candidats aptes à assurer cette fonction. Il en résulte que la différence de traitement, qui n'est pas non plus justifiée par un motif d'intérêt général, est sans rapport avec l'objet de la loi.
9. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi. Elles doivent donc être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.
11. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « représentatives au niveau national et interprofessionnel, national et multiprofessionnel ou dans au moins une branche » figurant au deuxième alinéa de l'article L. 1453-4 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 visant à compléter et mettre en cohérence les dispositions prises en application de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 11 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 septembre 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 14 septembre 2021.